
L'intérêt à agir pour contester un permis de construire ne se transmet pas aux héritiers
Publié le :
10/02/2025
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2025
Source : blog.droiturbanisme.comCE, 1e et 4e ch. réun., 20 déc. 2024, n° 489830 : T. Lebon
L’ordonnance n° 2013-638 du 18 juillet 2013 (JORF 19 juil. 2013) a mis en place un dispositif visant à limiter les recours pour excès de pouvoir contre les autorisations d'urbanisme.
Sous réserve de certaines exceptions, le recours pour excès de pouvoir n'est recevable que lorsqu'il est formé par une personne « dont la construction, l'aménagement ou le projet autorisé sont de nature à affecter directement les conditions d'occupation, d'utilisation ou de jouissance du bien qu'elle détient ou occupe régulièrement ou pour lequel elle bénéficie d'une promesse de vente, de bail, ou d'un contrat préliminaire » de vente d'immeuble à construire (art. L. 600-1-2 du code de l'urbanisme).
En principe, cet intérêt particulier à agir doit exister à la date d'affichage en mairie de la demande d'autorisation d'urbanisme (art. L. 600-1-3 du code de l'urbanisme). Le texte réserve toutefois des « circonstances particulières » qui justifieraient de se placer à une date différente.
La décision rendue par le Conseil d'État le 20 décembre 2024 apporte des précisions sur les modalités d'application du dispositif issu de l'ordonnance de 2013. Certaines questions demeurent néanmoins.
Dans cette affaire, une personne était propriétaire d'une maison sur l'Île-de-Bréhat. Elle avait fait donation de la nue-propriété du bien à sa fille en se réservant l'usufruit. La fille donataire avait ensuite transmis la nue-propriété à ses propres enfants, en sorte qu'elle n'avait plus aucun droit sur la maison en cause.
Le propriétaire d'une maison voisine avait obtenu un permis de construire pour réaliser une extension. L'usufruitière est décédée après l'affichage de la demande en mairie. Sa fille introduit alors un recours pour excès de pouvoir contre le permis.
La cour administrative d'appel déclare le recours recevable bien que la requérante n'ait plus aucun droit sur la maison. Suite au décès de sa mère, l'usufruit de cette dernière s'est éteint et ce sont les petits-enfants, jusqu'alors nus-propriétaires, qui sont devenus pleins propriétaires (art. 617 du code civil).
Après avoir relevé que l'usufruitière avait bien intérêt à agir à la date d'affichage de la demande en mairie, la cour administrative d'appel a considéré que cet intérêt avait été transmis à sa fille et unique héritière, par application de l'article 724 du code civil, aux termes duquel : « les héritiers désignés par la loi sont saisis de plein droit des biens, droits et actions du défunt. »
Cette interprétation est censurée par le Conseil d'État : l'intérêt à agir contre un permis de construire s'apprécie sur le seul fondement des dispositions des articles L. 600-1-2 et L. 600-1-3 du code de l'urbanisme.
Selon ces textes, la contestation d'une autorisation d'urbanisme est ouverte aux personnes physiques ou morales qui justifient de la demande en mairie, de leur qualité d'occupant régulier ou de propriétaire d'un bien immobilier, usufruitier ou nu-propriétaire, dont les conditions d'occupation, d'utilisation ou de jouissance sont de nature à être directement affectées par le projet, la date d'affichage en mairie de la demande.
Autrement dit, cet intérêt à agir en excès de pouvoir contre une autorisation d'urbanisme n'est pas transmissible aux héritiers et s'apprécie en la personne du requérant.
Note
1. On notera tout d'abord qu'au regard des personnes pouvant agir, la décision du Conseil d'État mentionne non seulement l'occupant régulier et le propriétaire mais l'usufruitier et le nu-propriétaire. La lettre du texte vise la personne qui "détient ou occupe régulièrement" le bien, ou qui bénéficie sur celui-ci d'une promesse de vente, d'une promesse de bail ou d'un contrat préliminaire de vente d'immeuble à construire. La formulation employée est très large et permet a priori d'englober tous les titulaires d'un droit réel principal (pleine propriété, nue-propriété, usufruit, droit d'habitation) ou d'un droit personnel (contrat de bail ou de prêt à usage). Il est raisonnable de permettre au nu-propriétaire d'agir, bien qu'il n'ait pas la jouissance du bien. Le projet peut avoir une incidence sur la valeur de ses droits. En outre, le nu-propriétaire a vocation à retrouver la jouissance du bien à l'extinction de l'usufruit. Il est un propriétaire en puissance.2. La décision apporte une utile précision sur l'incidence du décès en matière de recours pour excès de pouvoir contre les autorisations d’urbanisme.
L’hypothèse visée est celle dans laquelle le défunt avait intérêt à agir au jour de l’affichage de la demande en mairie et que le recours est introduit après le décès par un héritier qui n’a pas lui-même intérêt à agir. En effet, l’héritier en cause ne disposait d’aucun droit sur le bien. Le décès a entraîné l’extinction de l’usufruit et les petits-enfants, qui étaient jusque-là nus-propriétaires, sont devenus pleins propriétaires.
On peut s'interroger sur les cas suivantes :
- Le défunt avait introduit le recours en son vivant et le décès survient en cours d’instance : il y a lieu, à notre avis, de faire application des règles de droit commun du recours pour excès de pouvoir. Le décès du requérant n'entraîne l'extinction l'instance que si l'action a un caractère personnel (CE, 22 nov. 1967, Balin, n° 70581, T. Lebon ; CE, 17 déc. 1954, Serre, Lebon, p . 869). Dans le cas contraire, si l'affaire est en état d'être jugée, elle doit aller à son terme même si aucun héritier ne reprend formellement l'instance (art. R. 634-1 du code de justice administrative). Reste à savoir si le recours pour excès de pouvoir contre une autorisation d'urbanisme constitue une action personnelle. La décision ne permet pas de répondre à cette question. Cela ne devrait pas être le cas, à nos avis.
- Le défunt avait intérêt à agir au jour de l’affichage de la demande en mairie et le recours est introduit par un héritier qui a lui-même intérêt à agir au jour du décès (parce que la propriété du bien lui a été transmise) : il s'agit de l'hypothèse la plus délicate. D'un côté, l'héritier n'avait pas intérêt à agir au jour de l'affichage en mairie de la demande d'urbanisme. D'un autre côté, l'héritier risque d'être directement impacté par l'autorisation d'urbanisme litigieuse. L'exigence d'un intérêt à agir au jour de l'affichage de la demande vise principalement à déjouer certaines manœuvres consistant à se faire consentir des droits sur une bien à proximité d'un projet de construction après l'affichage du permis, dans le seul but de « monnayer » son recours. Il nous semble donc que le décès devrait constituer une « circonstance particulière » visée à l'article L. 600-1-3 du code de l'urbanisme, permettant de déplacer la date d'appréciation de l'intérêt à agir.
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